Love your neighbours


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En 1992, la Bosnie-Herzégovine a déclaré son indépendance de la Yougoslavie à la suite d'un référendum. S’en est suivie la guerre de Bosnie avec le siège de Sarajevo. Partout en Bosnie-Herzégovine, les habitants se sont regroupés selon leur appartenance ethnique et se sont battus les uns contre les autres. Les amis et voisins d'hier sont devenus les ennemis et les meurtriers d'aujourd'hui. Durant les trois années de la guerre de Bosnie, ils se sont pillés, torturés, violés et tués les uns les autres. Un exemple particulièrement glaçant a eu lieu à Srebrenica en 1995 ; l’armée serbe y a tué de façon systématique 8 500 Bosniaques (musulmans de Bosnie) en l’espace de trois jours. La guerre de Bosnie s’est terminée dans une violence extrême et a laissé de profondes cicatrices dans la société. Le plus traumatisant de tout, c’est que ces crimes de guerre ont été commis par des personnes qui se connaissaient. 

Je considère la société bosnienne comme une société souffrant de stress post-traumatique. Vingt-sept ans après la fin de la guerre, le traumatisme continue de hanter la société, et s’est même transmis à la génération d'après-guerre. De ce fait, la société est toujours profondément divisée en trois groupes ethniques (Bosniaques, Serbes et Croates) dont les relations restent tendues. Beaucoup de jeunes ont quitté leur pays ou cherchent à le quitter faute d’espoir.  

Cette série photographique mêle visualité imaginaire, photographie documentaire et photographies de famille pour illustrer les souvenirs de la guerre, les traumatismes et la frustration qu'elle engendre.

La guerre de Bosnie est terminée depuis plus d’une génération, mais chacun continue de se débattre avec elle. Les cicatrices de la guerre sont profondes.  

Pendant le siège de Sarajevo, il n’y avait pas d’eau ni d’électricité. Pour échapper aux bombardements et aux tirs de snipers, nous nous sommes réfugiés dans un sous-sol. Le seul moyen de savoir comment se déroulait la guerre, c’était la radio amateur. Nous avions pris la dynamo d’une voiture et l’avions connectée à une roue de vélo pour produire de l’électricité. Ainsi, nous pouvions écouter la radio. Les émissions commençaient toujours par ; « Bonjour Sarajevo. J’ai survécu jusqu’à présent. Et vous, avez-vous survécu ? »

Tout a très vite manqué dans la ville. L’argent n’était plus d’aucune utilité et tout pouvait s’échanger pour survivre. Vous pouviez vous offrir une femme pour quelques heures en échange d’une simple boite de conserve de bœuf. C’était principalement des mères qui se battaient pour pouvoir nourrir leurs enfants affamés. 

En juillet 1995, durant trois jours, l'armée serbe a assassiné environ 8 500 personnes dans la ville de Srebrenica et ses environs. Bien qu’il se soit écoulé 27 années depuis, il arrive encore chaque année des corps récemment identifiés qui sont enterrés au Mémorial du Génocide lors de la journée commémorative.

Je suis parti en Allemagne après le génocide de Srebrenica. La maison est abandonnée depuis. Mon père s’asseyait sur ce fauteuil à son retour du travail. Il regardait la télévision ou lisait le journal. Parfois il s’endormait. Nous revenons chaque année pour la Journée commémorative. Je suis toujours étonné de retrouver ce fauteuil à sa place. Probablement qu’il attend le retour de mon père … Tout comme moi.

Nous avons marché de Srebrenica vers Bratunac. A mi-chemin, l’armée serbe nous a arrêtés. Ils m’ont dit « toi, vas là-bas et reste à l’écart » et à mon mari « toi, viens avec nous ». Il m’a regardée et a posé sa main sur mon épaule pour me rassurer. « Ne t’inquiète pas », m’a-t-il dit, « ça va aller » mais j’ai senti que sa main tremblait. Ce fut le dernier instant avec mon mari. Je rêve encore de lui et je sens encore sa main tremblante sur mon épaule lorsque je me réveille.  

Una est bosniaque et Milijan est serbe ; ce jeune couple mixte se retrouve sur le mur d’une forteresse militaire abandonnée. Les mariages entre nationalités et groupes ethniques différents ne sont pas rares. Néanmoins, ces mariages "mixtes" sont toujours stigmatisés et restent un tabou social près de 30 ans après la guerre. 

J’étais dans un camp de concentration près de Visegrad. Un jour, un soldat serve avec une cagoule de ski est venu dans ma chambre pour me violer. Je l’avais entendu parler derrière la porte avec d’autres soldats serbes. Quand ils l’ont appelé par son prénom, j’ai reconnu sa voix. J’ai demandé d’une voix tremblottante, « Mladen, c’est toi ? Nous étions dans la même classe ». Il est resté immobile pendant un tremps et a quitté la pièce en silence. 

Le 27 juin 1992, durant le nettoyage ethnique de la Vallée de la Drina par les forces serbes de Bosnie, environ 70 civils bosniaques ont été enfermés dans une maison de Bikavac. Après les avoirs dépouillés de leurs effets, il a été mis le feu à la maison et les occupants y ont été brûlés vifs. 

« Je me suis battu pendant la guerre pour rester en vie. Maintenant, je vends la guerre pour gagner ma vie »Zeljko, un ancien combattant, essuie ses larmes près de la tranchée où il a combattu. Il travaille comme guide touristique de la guerre de Bosnie.  

Après la guerre, mon père n’a pas pu reprendre une vie normale. Dans mes souvenirs d’enfance, il était émotionnellement instable. Souvent, ses mains tremblaient intensément et se déformaient lorsqu'il était nerveux. Il s'endormait toujours en état d'ébriété. Après 24 ans de souffrance, il s'est finalement suicidé. J'ai été tristement soulagé lorsque j'ai regardé son corps. Il semblait dormir si paisiblement. 

« Mais comment peux-tu être ici ? Je croyais que je t’avais abattu ... » 

 « Oui, quelle mauvaise surprise. Tu nous a tiré dessus et j’ai survécu. Mais pas mon frère. Il semblerait que nous allons être amenés à nous revoir. »

 Après la guerre, nombreux sont ceux qui ont dû cohabiter avec leurs ennemis et les meurtriers de leurs proches, ceux-là même qui n’étaient autrefois que de bons voisins.  

« Nous avons tous pleuré, mais nous ne savions pas que nous étions en train d'enterrer la Yougoslavie. » (Mahmut Bakali, homme politique albanais du Kosovo, parlant de la mort de Tito.) Tito a été largement reconnu pour sa capacité à unir tous les groupes ethniques et religieux de la Yougoslavie. Après sa mort, la Yougoslavie a été déchirée par des guerres civiles sanglantes. 

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